Trois hommes débarquent en Oisans en 1913, aux pieds des parois désertées. L'un d'eux vient d'une contrée lointaine, les Dolomites. Il s'appelle Angelo Dibona, il est guide à Cortina et ses clients, les frères Mayer, sont Autrichiens.
Dibona est loin d'être un inconnu puisque l'année précédente, il gravissait l'immense face sud de la Meije, 35 ans après la première ascension de Pierre Gaspard; un coup de tonnerre pour l'époque. Les grandes parois ne lui font pas peur. Il vise des parois telles que l'Ailefroide (par l'arête Coste Rouge) et la face nord des Écrins (versant Bonnepierre) sur lesquelles il inscrira également sa trace.
Il faut s'imaginer qu'à cette époque, du fait notamment de l'absence de secours, l'engagement est total.
Outre son efficacité redoutable sur le rocher, l'atout majeur de Dibona sont les pitons. Ces lames métalliques que l'on plante dans le rocher vont très vite révolutionner la pratique de l'alpinisme. Malgré le très faible nombre de protections placées, Paul Preuss, son contemporain, grimpeur aussi génial que radical, auteur d'ascensions solitaires totalement bluffantes dans les Dolomites, pousse des hauts cris.
Mais comme on le sait, les progrès techniques n'en sont qu'à leurs débuts et s'ouvre bientôt la possibilité de gravir les faces les plus raides...
Lorsque Dibona se rétablit au sommet du Pain de Sucre du Soreiller, il n'imagine sans doute pas que cette belle aiguille prenne un jour son nom, ni que un an plus tard, l'Europe sombre dans une guerre sanglante entraînant des millions de morts.